Une semaine « embedded » dans le commissariat de police de Cherbourg (Manche), ça fait un peu peur au début, mais finalement ça se passe bien. Chronique d’un dépucelage en 6 épisodes.

 

 

Lundi 26 novembre

 

C’est à 8 h 30 que j’ai rendez-vous au commissariat de police de Cherbourg. Je retrouve Michel Le Cavorzin, le commissaire, dans son bureau. Souriant et sympathique, il m’accueille d’un énigmatique « Ah, elle est belle la France », référence à l’actualité des faits divers qui ont émaillé le week-end : mort de deux jeunes et violences à Villiers-le-Bel, meurtre d’une étudiante dans le RER D à Creil, découverte du cadavre d’une femme un an après sa mort à Calais. Le commissaire me détaille la liste de ces événements dramatiques et enchaîne rapidement sur l’histoire qui a marqué le week-end à Cherbourg. Un homme en situation de contrôle judiciaire, placé sous surveillance électronique, a été interpellé peu après que son rottweiler a mordu sa compagne. L’homme avait 1,4 gramme d’alcool dans le sang et a réussi peu après l’agression à se défaire de son bracelet électronique avec un simple couteau à dents. Michel Le Cavorzin ne cessera de revenir sur cette affaire tout au long de la matinée. Du gros dossier, apparemment.

 

Après les formalités d’usage, le commissaire m’invite à assister à une réunion où siègent les trois commandants du centre de police. L’objectif est de faire le point sur les événements qui ont secoué la paisible Cherbourg les deux jours précédents. « M. Lefilliâtre est étudiant en journalisme à Sciences-Po. Donc il ne faut pas tout lui dire. » Voilà pour les présentations. Je souris bêtement.

 

Nous prenons peu après la direction du port de Cherbourg. C’est aujourd’hui que doit être inauguré le tout nouveau fréteur de la compagnie de transport maritime Brittany Ferries. Le navire a été baptisé le Cotentin. La cérémonie a lieu en présence du Secrétaire d’Etat aux transports, Dominique Bussereau. Michel Le Cavorzin est sur le qui-vive : il est en charge de la sécurité du site où se déroule l’inauguration. Il doit se rendre sur place pour vérifier que la brigade de déminage a bien fait son travail. « Vous avez de la chance, vous. Vous arrivez à Cherbourg le jour où il y a une grosse opération de police. » Le commissaire parle-t-il d’homicide, de descente ou de démantèlement de réseau ? Non. Si les troupes sont particulièrement mobilisées ce matin, c’est parce que l’actualité sociale est chaude dans le Cotentin : les étudiants et lycéens peuvent bouger, mais ce sont surtout les salariés de la Sanmina – une entreprise locale, en liquidation judiciaire – qui risquent de venir troubler la belle cérémonie.

 

C’est à bord de la voiture du commissaire, frappée du sigle « Police » à l’extérieur du pare-soleil, que j’arrive sur le parking du port réservé aux invités. A peine descendu, je tombe sur mes confrères de La Presse de la Manche et d’Ouest France, avec qui j’ai travaillé lors de mon passage dans la grande famille de la PQR.

« Ben alors, Jérôme, qu’est-ce que tu fous là ? T’as changé de voie, tu passes le concours de police ou quoi ? (Eclats de rire.)

         Non, je suis en stage d’observation au commissariat. C’est Sciences-Po qui m’a affecté à Cherbourg.

         En stage d’observation ? Tu vas observer quoi : l’alcoolisme au travail ? » (Eclats de rire partagés.)

 

C’est avec ces mêmes collègues que je rejoins la tribune officielle pour assister à l’inauguration. La classe : je m’assois sur les bancs de la presse. Peu de choses à dire sur la cérémonie, où se succèdent les orateurs pour une litanie qui me semble interminable. Malgré la météo clémente, une batterie de parapluies est prête à ma gauche, au cas où la pluie ferait son apparition. A Cherbourg, le parapluie est le prolongement naturel du bras droit, comme le pastis à Marseille.

La musique est très présente lors de la cérémonie : l’harmonie municipale, d’abord, s’évertue à réchauffer l’air plutôt frais qui baigne le port d’une douceur « normande ». Puis c’est une fanfare bretonne de la Marine nationale, le « Bagad de Lann-Bihoué », qui nous gratifie de solos de biniou, sur fond de cornemuses. Surprise : l’ensemble est plutôt rock’n’roll. Même que ça swingue. Dernier participant à cet ensemble choral, un homme frêle, pas charismatique pour un sou. Il s’avance seul au milieu des musiciens à la fin de l’inauguration pour chanter les hymnes français et finlandais – c’est en Finlande que le bateau a été construit. Quand il prononce les premières phrases dans un finlandais approximatif, je ne peux m’empêcher d’esquisser un petit sourire en coin, partagé avec mon voisin. Jusqu’à m’apercevoir que le mec a du coffre et que c’est vachement couillu de chanter, en finnois, et devant cinq cents personnes, des paroles à laquelle on ne comprend absolument rien. Chapeau l’artiste.

 

Je retrouve le commissaire peu après le traditionnel lancer de bouteille de champagne sur la coque – un instant toujours fun, qui sert à baptiser le navire. Il me raconte comment ses hommes ont bloqué les manifestants de la Sanmina à quelques mètres de la cérémonie. « J’ai eu la brillante idée d’installer un double barriérage à l’entrée du port, m’annonce-t-il avec un sourire ironique. Une délégation a été reçue par un conseiller du ministre et le dircab du préfet. Les manifestants sont déjà tous partis. » Traduction : succès de l’opération de police. Michel Le Cavorzin prend son talkie walkie et annonce à un interlocuteur mystérieux : « on peut alléger les troupes. »

 

Dans le fréteur, où nous – journalistes, élus et officiels – sommes montés pour la visite, ça chambre entre députés et sénateurs. Dominique Bussereau y va de sa petite vanne, genre « si vous les sénateurs, vous foutiez quelque chose, ça se saurait. » Merde, je me surprends à me marrer, moi aussi. Tout ce petit monde rejoint ensuite le « cocktail déjeunatoire » organisé par la Brittany Ferries. Bien aidé par l’entrain de mes collègues de PQR, je m’empiffre de langoustines, d’huîtres, de noix de Saint-Jacques et de verrines. Trop dure, la vie de journaliste. Pourquoi ne suis-je pas devenu prof de français ?

 

 

Mardi 27 novembre

 

Ce matin, c’est la tournée du commissaire. On se retrouve au café de l’Hôtel de Ville dès 8 h 30 pour le « p’tit jus » du matin. Les mauvais esprits seront déçus d’apprendre que nous ne buvons que du café, avant d’assister aux audiences du tribunal de police, où Michel Le Cavorzin siège en tant qu’officier du ministère public. Peu de choses intéressantes à la barre : seulement des affaires de voisinage qui tournent en noms d’oiseaux, et entraînent les justiciables devant des tribunaux où ils semblent un peu perdus. En quelques minutes, les audiences sont expédiées par la cour.

 

La tournée continue, en voiture cette fois. J’embarque avec le commissaire dans sa Citroën C5 banalisée, pour une inspection des différents quartiers de la circonscription dont il a la charge. Le commissaire s’intéresse aujourd’hui à quelques exploitations agricoles, où il a l’intention de contrôler les ouvriers qui y travaillent. Cette opération a pour but de vérifier les conditions dans lesquelles exerce cette main d’œuvre souvent peu qualifiée. En clair, il s’agit de contrôler la régularité de leur situation, même si Michel Le Cavorzin se défend de faire la chasse aux sans papiers. Rappelons quand même que le préfet de la Manche faisait partie de ceux qui ont été convoqués il y a quelques semaines par Brice Hortefeux, notre rougeaud ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, sous le motif qu’ils procédaient à un nombre insuffisant d’expulsions. Le contrôle, ce sera pour plus tard. Dans les exploitations agricoles que nous visitons, personne ne bosse. « Ca, c’est les Normands », explique mon Breton de commissaire.

 

Pendant que nous sillonnons la campagne du Cotentin, dont les couleurs automnales s’accrochent aux arbres avant de s’abattre sur les sentiers chargés de feuilles mortes, le commissaire me parle très librement de la police, de son métier, de ses hommes. Depuis que j’ai intégré le commissariat de Cherbourg, je suis frappé de la liberté de ton des fonctionnaires de police. Alors que j’imaginais me heurter à des murs pleins de méfiance à l’égard d’un journaliste, qui plus est frappé de l’étiquette « Sciences-Po », je découvre des hommes et des femmes qui sont tous prêts à évoquer leur activité, comme si je servais tantôt de défouloir, tantôt de tribune, tantôt de confident.

 

Michel Le Cavorzin me répond sans ambages sur le système des indics, qui servent d’informateurs à la police. Comment réussir à faire de quelqu’un son indic ? « Par un coup de pompe dans le cul ou par une petite rémunération », me répond le commissaire. « C’est une question d’attitude. » Un exemple concret permet de saisir le jeu du chat et de la souris qui lie le policier et son indic. « Un étranger en situation irrégulière se verra attribuer plus facilement une carte de séjour pour quelques mois s’il donne des infos, mais il ne sera pas régularisé définitivement. » Leçon n°1 : il faut toujours récompenser son indic pour bons services rendus, mais ne jamais oublier de conserver un moyen de pression sur lui. Ou comment mettre en pratique la politique du bâton et de la carotte. J’apprends également qu’il existe deux sortes d’indics. Les institutionnels d’abord. Ceux qui perçoivent une rémunération pour leur collaboration – « pas suffisante pour vivre uniquement de ça », prévient le commissaire. Ceux-là sont répertoriés au ministère de l’Intérieur. Et connus de tous les fonctionnaires de police un peu curieux. L’autre espèce d’informateurs est composée par ceux que le commissaire appelle les « honorables correspondants ». En gros, des quidam qui balancent des infos sans rémunération par goût du civisme ou par désir que l’ordre soit maintenu. Des mauvaises langues pourraient les qualifier de « délateurs citoyens »…

 

La tournée du patron se termine à la gare de Cherbourg, où les lycéens en « colère » contre la loi Pécresse se sont rassemblés. Ils sont un peu plus d’un millier selon la police (j’ai enfin compris pourquoi les chiffres de la police étaient toujours plus bas que les autres : c’est parce qu’ils n’aiment pas reconnaître que leur territoire est en proie à l’agitation. Question d’honneur : le maintien de l’ordre est la première des missions de la police nationale). « Les lycéens, il faut s’en méfier, m’explique le commissaire. Ils sont incommandables et imprévisibles. Ca saute partout, sans se rendre compte des dangers d’une manifestation. Faut pas qu’il y ait de martyrs, vous comprenez. » Tout se déroulera bien, les brigades « violences urbaines » n’auront même pas à intervenir. « Cherbourg, c’est pas Villiers-le-Bel », ne manquent pas de me rappeler la plupart des policiers avec qui je discute.

 

L’après-midi, je continue ma visite des locaux, des services et des unités, en compagnie du brigadier-chef Bourdin. Pas la langue dans sa poche, l’homme évoque les difficultés rencontrées par la police dans la France d’aujourd’hui. « On nous en demande toujours plus, mais sans les moyens qui suivent. » Le commissaire Le Cavorzin établit un constat similaire : « on nous demande de plus en plus de technicité. Il faut être compétent partout et dans tous les domaines. » Malgré une augmentation du budget de l’Intérieur pour l’année 2008, les fonctionnaires de police se plaignent de façon presque consensuelle du manque de crédits et des conditions de travail. Il faut dire que le commissariat de Cherbourg, construit il y a quarante ans, et rénové seulement par intermittence, fait peine à voir. Les bureaux du Groupe d’appui judiciaire (GAJ), où sont reçus les mis en cause lors des confrontations ou lorsqu’on recueille leurs dépositions, sont exigus, bourrés de papiers, de dossiers et d’archives, si bien que les agents peuvent difficilement cohabiter. Les murs sont couverts d’une peinture alternativement jaune ou bleue, qui se fend et craquèle sous le poids du temps. Au plafond, les néons produisent une lumière blafarde qui accroît l’aspect glauque et sinistre du central. Difficile de se sentir en confiance quand on pénètre pour la première fois dans cet environnement hostile. L’atmosphère est froide, malgré les éclats de rire que l’on entend parfois dans les couloirs. Si les policiers sont tous d’accord pour déplorer leur cadre de travail, la plupart reconnaissent cependant que l’ambiance est bonne. Et puis, « Cherbourg, c’est tranquille, on est bien… »

 

Il suffit de quelques discussions avec les hommes et les femmes qui peuplent le commissariat pour démonter le mythe du policier en action, toujours le flingue à la main. « Pour ça, il faut regarder la télé, s’amuse le commandant Ledanois, et il faut être assez naïf pour le croire. » On ne tarde pas à s’apercevoir que les agents passent le plus clair de leur temps devant un ordinateur, à respecter des démarches administratives sans fin. « La procédure est devenue tellement lourde aujourd’hui », souligne avec dépit le brigadier-chef Bourdin. Tout mouvement effectué par le moindre policier est acté sous forme de procès-verbal. D’où la constitution d’archives gigantesques et de dossiers sans fin.

Autre plainte récurrente dans  les couloirs du central : le manque de moyens. Beaucoup regrettent d’obtenir cette même réponse, dès lors qu’ils font une demande auprès de leur hiérarchie : « Y’a pas de sou ». La formule est même devenue une private joke à l’intérieur du commissariat. Inutile de demander à suivre une formation pour être un meilleur policier, la réponse est invariablement négative, selon les policiers. Inutile également de chercher à s’enquérir d’une nouvelle étagère ou d’équipements rafraîchis. Le brigadier-chef Bourdin me cite l’exemple de son attirail « violences urbaines » : il est obligé de l’envelopper dans un sac poubelle. Ca nuit un peu à la crédibilité du flic sur le terrain. Le manque de moyens est criant partout. Il n’est qu’à pénétrer dans les bureaux pour constater leur vétusté : les meubles y sont rares et semblent tout droit revenus des années 60 (l’usure en plus).

 

Et Sarkozy alors ? Il n’a rien fait pour améliorer le sort des policiers ? « Vous savez, il est beaucoup moins populaire ici que ce que l’on pourrait croire, corrige le brigadier-chef Bouchin. Il n’a pas été un mauvais ministre de l’Intérieur, mais il s’est servi de la police pour sa carrière politique. » Dans ce commissariat, on ne vénère pas le Président. Comme ailleurs, il y a les pour et les contre. Mais tous reconnaissent que son passage place Beauvau n’a pas été la révolution à laquelle il voudrait faire croire. « Surtout des effets d’annonce, concède le commissaire Le Cavorzin. Sarkozy, en fait c’est trois choses : des réductions d’effectifs, la privatisation de la police et l’instauration d’une culture du résultat. » Le reste n’est que littérature.

 

 

Mercredi 28 novembre

 

Il est 9h quand les commandants arrivent dans le bureau du commissaire. Comme tous les jours, Michel Le Cavorzin reçoit les chefs d’unité pour faire le point sur ce qui s’est passé la veille. Rien d’extraordinaire : les manifs, deux gardes à vue, dont une chez les stups, le TN (transport nucléaire) – de la petite actualité.  Il faut aussi préparer la journée qui s’annonce. Ce mercredi 28 novembre s’annonce encore une fois peu chargé. Il faut seulement surveiller les lycéens, qui tiennent une assemblée générale dans la journée et sont susceptibles de lancer une action dans les rues de Cherbourg. Pas vraiment de quoi s’inquiéter…

La discussion entre les policiers les plus gradés du central dévie rapidement vers les événements qui ont secoué Villiers-le-Bel les nuits précédentes. 82 policiers y ont été blessés, dont le commissaire divisionnaire et un officier, touché par balle. Le commandant Lemenand remarque l’ « énergie » du Président de la République. A peine débarqué de Chine, Nicolas Sarkozy s’est en effet précipité au chevet des blessés, avant de rejoindre l’Elysée pour y accueillir les familles des deux jeunes mortellement accidentés, lors de la collision avec la voiture de police. Le commissaire Le Cavorzin réagit immédiatement. « Moi, je trouve qu’il a traîné. C’est pas en Chine qu’il doit être, quand ça crame en France… » Ancien commissaire du 3ème arrondissement de Paris, passé également par les RG, l’homme regrette qu’on ait laissé proliférer « les armes dans la banlieue » et déplore une nouvelle fois les « effets d’annonce » sur le sujet, sans qu’aucun moyen supplémentaire n’ait jamais été réellement débloqué.

 

La matinée continue par un exercice incendie déclenché à la maison d’arrêt de Cherbourg, en collaboration avec l’administration pénitentiaire et les sapeurs-pompiers. Le commissaire Le Cavorzin, qui n’a pas prévenu ses troupes, veut tester leur capacité de réaction et leur vivacité. D’une façon générale, il trouve que ses équipes ne sont pas promptes à prendre des initiatives. Un peu longues à la détente, quoi. Le comble pour des flics. La raison de cette apathie tient selon lui à une trop faible activité sur la circonscription de Cherbourg, ce qui finit par créer une routine dans les rangs. Il me confiera plus tard dans la journée que tous les policiers devraient selon lui être affectés à Paris à la sortie de l’école. « Il faut apprendre le boulot, et c’est là-bas que ça s’apprend, justifie-t-il. On y apprend la réactivité et la discipline. Ici, il y a trop de proximité entre les policiers et les gens. Je dirais même que c’est de la promiscuité. Paris, c’est une machine bien huilée. Avec plus de moyens, c’est vrai… »

Pour l’exercice incendie, il met ses commandants dans la confidence, qui eux-mêmes informent leurs adjoints. Le commissaire s’agace de ce que l’effet de surprise puisse s’effondrer. Il a raison plus qu’il ne le croit. La rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre dans le commissariat et les agents qui devaient originellement se rendre au sport (comme tous les mercredis matins) n’ont pas pris la peine d’enfiler leurs survêtements. Ils n’attendent qu’une chose dans la cour du commissariat, hilares : que l’alerte « surprise » soit enfin déclenchée. C’est fait à 9 h 47. Le CIC (Centre d’information et de commandement), qu’on appelle aussi le « cerveau » parce qu’il reçoit les informations et dirige les véhicules de police reliés par radio, prend l’opération en main. Côté police, tout se passe bien, selon le commissaire. Il peste néanmoins contre les sapeurs-pompiers, coupables d’après lui de ne pas les avoir avertis du déclenchement de l’exercice. Ce n’est pas la guerre des polices, mais c’est un peu le même esprit.

 

PM Beretta. C’est le nom du fantasme un peu honteux que j’ai réalisé l’après-midi. PM signifie « pistolet mitrailleur ». Un truc de guerre, quoi. Le genre de choses que l’on voit dans les films américains, qui vous font vous prendre pour Dirty Harry ou Michael Corleone… Le Beretta, c’est une portée opérationnelle de 100 à 200 mètres, un chargeur de 30 cartouches taille 9 mm, à vider coup par coup ou en rafale. Gilbert, l’instructeur, a bien voulu me laisser essayer, après les officiers. La scène se déroule sur le stand de tir du port militaire de Cherbourg. Environ 100 mètres de sable entre de hautes murailles qui recouvrent partiellement nos têtes, laissant apparaître par endroits des morceaux de ciel gris. L’atmosphère est brumeuse. De fines gouttes de pluie s’abattent sur le sol, tandis que les ogives des cartouches détonnent quand elles quittent le canon de l’arme. Au bout du terrain, les cibles. Nous tirons à 15 mètres. « Une petite distance », selon Gilbert. Pas difficile d’être précis. La preuve : c’est la première fois de ma vie que je tire et 19 balles sur 20 viennent frapper le corps ennemi représenté sur la cible. « C’est une arme très précise, explique l’instructeur. La difficulté apparaît quand on est en légitime défense. On a moins de temps pour viser. Les gens nous demandent souvent pourquoi on ne tire pas sur la main ou dans le genou. C’est simple : on n’est pas des tireurs d’élite et dans l’urgence, il est plus facile de toucher le corps. » De son côté, le commandant Ledanois, avec qui je participe à l’exercice, précise la différence entre le Beretta et l’arme de poing qu’il porte en permanence à sa ceinture. « L’arme de poing est plus facile à manier, parce qu’on peut tendre les bras et avoir plus de stabilité. Là, avec le PM, il faut se recroqueviller pour tirer. »

 

Retour au bercail après cet épisode excitant – tenir une arme de mort entre ses mains, la première fois, ce n’est pas rien. Je dois maintenant accompagner le commissaire vers une partie de sa circonscription. Je profite du trajet en voiture pour évoquer l’actualité à Cherbourg, celle d’une famille géorgienne sans papiers (un couple, deux enfants) à laquelle le préfet de la Manche a signifié un avis d’expulsion. Le sale boulot revient aux policiers, ce qui n’a pas l’air de soucier outre mesure Michel Le Cavorzin. « Il ne faut pas avoir d’états d’âme. Les états d’âme paralysent l’action. Il n’y a déjà pas assez de boulot pour les Français et les étrangers en règle, alors si on garde ceux qui sont en situation irrégulière… C’est déjà suffisamment la merde comme ça… » Malgré ce genre de propos détestables, je ne parviens pas à trouver le commissaire inhumain. Il m’apparaît même comme une personne sympathique et cultivée. L’expression « une main de fer dans un gant de velours » donne une parfaite définition de sa méthode. Son attitude volontiers lunaire et fanfaronne – il a aussi la voix de Frédéric Mitterrand – cache une personnalité beaucoup plus affirmée qu’on ne pourrait le croire. Il utilise l’humour pour désamorcer les conflits qui peuvent émerger avec ses hommes ou avec les citoyens qu’il est amené à rencontrer (ou convoquer). Un humour qu’on ne comprend pas toujours d’ailleurs, mais un humour quand même. Il n’hésite pas à balancer des vannes politiquement incorrectes à des gens qu’il connaît à peine. Pour un flic, c’est inattendu. Pas du tout le style « droit dans ses bottes et balai dans le cul ».

Par ailleurs, l’homme se dit de gauche. Quand je lui demande pour qui il a voté lors de l’élection présidentielle, il répond ne pas voir déposé un bulletin « Sarkozy » dans l’urne, ajoutant : « je ne comprends pas le consensus autour de Sarkozy. Personne n’a l’air de se rendre compte que tout n’est que des effets d’annonce, et qu’avec lui, on va perdre plein de droits sociaux. » Je reste silencieux, un peu interloqué, repensant à ce qu’il me disait quelques instants plus tôt sur sa politique en matière d’expulsions. « Souvent, les gens ne conçoivent pas que l’on puisse avoir le cœur à gauche, et rester ferme tout en étant juste. » Ah, d’accord.

 

 

Jeudi 29 novembre

 

Rendez-vous est pris ce matin avec le commandant Lemenand, qui dirige la Brigade de sûreté urbaine. La BSU, au sein du commissariat de police, ça rappelle les séries américaines, mais appliquées à Cherbourg. On y trouve plusieurs unités : la police scientifique (cf. Les Experts), le flag’ (cf. la Strike Team de The Shield), la brigade des mœurs (cf. Dutch et Claudette, toujours dans The Shield) ou encore la brigade de recherche, qui traite les affaires au long cours, parmi lesquelles les stups, les affaires financières, les braquages… Malgré des effectifs et des moyens que le commandant Lemenand juge « insuffisants » – il y a définitivement consensus sur ce sujet entre tous les fonctionnaires de police -, le point commun des unités de la BSU est l’investigation. Tous les flics qui traînent dans les couloirs de cette partie du commissariat bien séparée du reste sont ce que l’on appelait naguère des inspecteurs. Contrairement aux policiers de l’USP (Unité de sécurité de proximité), ceux qui patrouillent sur la voie publique, les hommes de la BSU ne sont pas en uniforme. Ils ont le droit de travailler en civil. Ils sont réputés plus bordéliques, plus paresseux et plus réfractaires à l’autorité. Parmi eux, la hiérarchie se fait effectivement beaucoup moins sentir. L’atmosphère est détendue. Les mecs rigolent, passent leur temps à se chambrer et ne tardent pas d’ailleurs à en faire de même avec moi.

Un gradé du commissariat m’explique que la BSU a un mode de fonctionnement bien spécifique. « C’est un groupe très autonome, je dirais même que c’est une bande. » « On a beaucoup plus de liberté, confirme le commandant Lemenand. Ca attise quelques jalousies, même si peu de monde finalement se presse au portillon pour nous rejoindre. » Il suffit de passer quelques minutes dans leur unité pour comprendre que l’on se trouve dans un milieu à part. Des affiches de films et de mangas ornent les murs des bureaux. Des disques de Thiéfaine, de Radiohead ou de Jeff Buckley remplissent les étagères. Pour la première fois depuis que je traîne dans le commissariat, je remarque la présence d’un livre. Quatre jours après le début de la semaine. Quand même. On trouve dans la pièce de travail de l’un des membres de l’équipe trois feuilles de papier punaisées au mur, sur lesquelles sont inscrites des citations littéraires et philosophiques, surmontées des photos de leurs auteurs : Baudelaire, Freud et Cocteau. Quand je fais remarquer que c’est plutôt inattendu à l’intérieur d’un commissariat, on me répond : « c’est parce que vous avez encore des préjugés sur la police… » Un rappel à l’ordre déontologique du journalisme, ça ne fait pas de mal de temps en temps…

 

Aux stups, on me raconte l’actualité du moment. Les overdoses (OD en langage policier) se sont multipliées ces derniers mois. 5 cas en un peu plus d’un an, c’est du jamais vu à Cherbourg. Depuis janvier, la brigade a saisi 650 grammes d’héroïne, 600 grammes de cocaïne, 7,5 kilos de cannabis. Le tout représente un montant d’environ 30 000 euros. Un chiffre en légère augmentation. Ce qui a explosé, c’est le nombre d’affaires que les stups doivent traiter. « On n’est plus dans la toxicomanie d’il y a vingt ans, explique l’un des policiers. Il y a de moins en moins de shoot et de plus en plus de snif. Surtout pour l’héro. » La brigade s’inquiète de la démocratisation de cette drogue ces dernières années. « Il y a 15 ans, 15 kilos de shit, c’était l’affaire de l’année, relativise le commandant Lemenand. Si on chopait un kilo de poudre, on devenait les superflics de France. La coke ne circulait pas vraiment, elle était réservée à une élite, dans le show-business par exemple. Quant à l’héroïne, c’était 1 000 euros le gramme. » Rien à voir avec le marché d’aujourd’hui. On trouve désormais le gramme d’héro partout, pour seulement 60 à 70 euros. Qui a dit que le pouvoir d’achat des Français avait reculé ?

Les réseaux de trafic d’héroïne ont leur source aux Pays-Bas, où l’on peut acheter le gramme pour seulement 10 ou 15 euros. Son commerce peut donc rapporter très gros. Et c’est beaucoup plus facile à transporter. Il s’agit en effet de volumes réduits par rapport au cannabis. Du coup, la poudre blanche (qu’il s’agisse de coke ou d’héro) a fait une entrée en force dans les soirées cherbourgeoises, et pas seulement dans les cercles de toxicomanie. « On en trouve chez les enfants de « bonne famille », précise un gars des stups. Ceux qui en prennent n’ont pas l’impression de se droguer, parce qu’ils sniffent et ne se piquent pas. Alors que c’est le même danger. »

Comment travaille-t-on chez les stups ? Tout le monde reconnaît que le milieu de la drogue est très difficile à pénétrer. Les policiers aiment répéter que tout peut se jouer sur un détail, qui devient peu à peu un élément, puis un dossier, etc. Mais il existe d’autres techniques efficaces, comme le traditionnel interrogatoire. Mes interlocuteurs m’expliquent qu’ils n’attachent pas une grande importance à l’usager de cannabis qui fume un joint sur la voie publique. Le seul intérêt qu’il représente, c’est ce qu’il peut dire, en vue de remonter le réseau. Rien de plus. Autre méthode d’investigation, plus indirecte : le « tonton ». C’est le terme qu’on utilise côté flics. Côtés dealers, on appelle ça plutôt une « balance » ou une « donneuse ». « Les tontons, ils parlent souvent à cause d’un litige financier, raconte l’un des agents. Ou alors, parce qu’ils sont plongés dans le milieu, et que c’est pour eux une façon d’en sortir. »

Les dossiers gérés par la brigade sont souvent lourds. Ils peuvent durer plusieurs mois et demandent une implication patiente. C’est là toute la différence avec les policiers qui servent en uniforme au sein de l’USP. Ces derniers sont envoyés sur des missions ponctuelles, à plus court terme. Le commandant Lemenand, chef de la BSU, n’imagine pas une seconde quitter son unité d’investigation pour rejoindre la « tenue », comme on dit. « Attention, ce n’est pas une critique, ce n’est pas péjoratif, précise-t-il. On a besoin d’eux pour fonctionner. Mais ça ne me correspond pas du tout… » La police n’est assurément pas une administration monolithique. Elle recouvre des visages bien différents.

 

 

Nuit du jeudi 29 au vendredi 30 novembre

 

Dalhia 4. C’est le nom de code du véhicule de police (banalisé) dans lequel je passe une bonne partie de cette nuit, en patrouille. C’est la Bac qui reçoit, la Brigade anti-criminalité. Des flics de la nuit, qui pointent leur flingue au bercail vers 22h pour ne rentrer chez eux qu’à l’aube. 6h officiellement, mais souvent la nuit se prolonge au gré des affaires à traiter. Les hommes sont au nombre de trois. Au volant, Jean-Luc, 9 ans à la Bac, assez bavard, celui qui me parle le plus librement de son métier. A côté, sur le siège passager, Igor, le taciturne. Difficile de briser la glace. Il semble très méfiant à mon égard. Il faut dire que la méfiance, c’est aussi la qualité première pour un homme de la Bac. Enfin, sur ma droite, à l’arrière du véhicule, Bernard, le plus expérimenté des trois, 11 ans de Bac, pas très prolixe non plus. Entre nous deux, se tient un grand sac noir comportant le matériel nécessaire à l’équipe en cas d’intervention : des « tonfas » (les matraques à angle droit), des gilets pare-balles, des élastiques (au cas où les menottes ne suffiraient pas) et le très célèbre flash-ball, bien à l’abri dans une mallette qui le protège. A cette équipement s’ajoutent l’arme de poing que chacun des hommes porte à sa ceinture (un Sig Sauer 9 mm) et des menottes.

 

La mission de la Bac consiste à rouler toute la nuit dans la circonscription de Cherbourg. Ici, on traque le flag’. Il faut dénicher en plein méfait ceux que l’on appelle les « délinquants ». Surveiller les zones reculées. Prévenir l’éclatement des délits. Sous cet aspect romantique se cache en fait une réalité plus anodine. On s’emmerde à Cherbourg, question délinquance. Je ne tarderai pas à découvrir ce qui fait le quotidien de la Bac : l’attente plutôt que l’action, l’ennui plutôt que la passion. Toujours cette même phrase : « Cherbourg, c’est tranquille. On connaît les gens, c’est petit. » Ici émerge le paradoxe de cette patrouille qui vise à réduire la criminalité. D’un côté, les hommes ne peuvent que se féliciter du bas niveau de délinquance dans leur agglomération – qui fait de Cherbourg l’une des circonscriptions les plus sûres de France. Mais on sent par ailleurs que les membres de la Bac aimeraient être confrontés plus souvent à l’adrénaline qui surgit de la violence.

 

Dans la voiture, la vigilance est permanente, l’attention toujours en éveil. Chaque individu qui ose s’aventurer dans les rues à cette heure fait naître un sentiment de suspicion chez les hommes de la Bac. A peine les trois policiers ont-ils repéré un passant dont le comportement est suspect – l’homme marche, s’arrête, se retourne, esquive notre véhicule par de petites rues, revient en arrière, etc. – qu’ils se lancent dans une filature effrénée à travers les rues de Cherbourg. La tension monte dans le véhicule : il faut prévoir les déplacements de l’individu pour l’intercepter là où il ne pourra plus nous échapper. C’est chose faite le long des voies ferrées. Les policiers descendent promptement du véhicule pour contrôler le garçon de 20 ans. Pendant que l’un vérifie ses papiers, un autre regarde autour de lui pour voir si le jeune homme n’a pas jeté à terre la micro-boulette de shit qu’il devait certainement posséder. L’officier ne trouvera rien. Nous serons bien obligés de constater que le garçon ne faisait que rentrer chez lui après son travail et peut-être quelques verres, à moins que ce ne soit après quelques joints, partagés avec des amis. Rien que de très banal.

 

La tournée se poursuit sans orientation précise, jusqu’à l’instant où Jean-Luc, le conducteur, vire brusquement pour faire demi-tour. Il prend en chasse une voiture immatriculée 76 (Seine-Maritime). Pourquoi ? La Bac a eu vent récemment d’un trafic de stups organisé sur Cherbourg par des Haut-Normands. Quelques centaines de mètres plus loin, Dalhia 4 rattrape la voiture des hommes que nous suivions. Igor dégaine le gyrophare de la boîte à gants pour le poser sur le toit et enclenche la sirène de police. Une scène excitante. Le conducteur de la voiture que nous avons pisté se range sur le bas-côté sans délai. Réaction un peu décevante pour ma part : j’avoue que j’avais envie de participer à une course-poursuite. Les deux jeunes (25 ans environ) qui se trouvent à l’intérieur sont contrôlés par les policiers. Encore une fois, ils ne trouveront rien et les laisseront partir, malgré quelques doutes. Sale nuit pour la lutte contre le crime.

 

Déjà 1h du matin. Il n’y a plus personne dans les rues et je commence à m’ennuyer ferme. Jean-Luc s’arrête quelques minutes devant le casino pour saluer le portier – lui aussi a l’habitude de travailler la nuit. Nous continuons notre quête sans but. La Bac a l’habitude d’intervenir sur des IPM (ivresse publique manifeste) pour calmer les esprits qui s’échauffent sous l’effet de l’alcool. C’est même l’une de leurs missions les plus fréquentes. Sauf ce soir. Il n’y a ni fêtes étudiantes ni soirées trop arrosées dans les bars de nuit. Faut dire qu’à Cherbourg, ce soir, y caille, y pleut et les quelques rafales de vent qui s’élèvent dans le ciel annoncent une tempête imminente. Vraiment une mauvaise nuit.

 

Il est 2h, Cherbourg s’endort, et moi aussi. Je demande à mes hôtes de me raccompagner au commissariat, où se trouve ma voiture. Eux continueront de tourner jusqu’à 6h, pendant que je dormirai profondément. J’apprendrai le lendemain qu’il ne se sera rien passé d’autre après mon départ…

 

 

Vendredi 30 novembre

 

Il ne manquait plus qu’une bonne affaire criminelle pour parfaire ma connaissance du monde de la police. Ce fut chose faite lors du dernier après-midi passé au commissariat. La veille, un adolescent de 14 ans était retrouvé avec une plaie d’une profondeur de 3 cm dans la gorge. Transféré au centre hospitalier de la ville, où il fut mis hors de danger malgré la gravité de sa blessure, Vincent[1] accusa immédiatement son beau-père, séparé de sa mère une semaine auparavant. L’histoire se déroule à Octeville, dans le quartier des Provinces, la ZUP de Cherbourg. Elle s’appuie sur des maux qui frappent la région de plein fouet depuis plusieurs années : chômage, pauvreté, alcool. Interpellé peu après les faits avec plus de deux grammes d’alcool dans le sang, Didier, l’agresseur présumé, placé en garde à vue toute la nuit, est accusé de violences volontaires, aggravées par les conditions dans lesquelles a eu lieu l’incident : sous l’emprise de l’alcool, sur mineur de moins de 15 ans et donnant lieu à plus de huit jours d’interruption temporaire de travail. L’affaire sera sans doute bientôt requalifiée par le Parquet en tentative d’homicide volontaire.

 

Les capitaines Fatôme et Girard, qui sont en charge de l’enquête, m’emmènent à l’appartement de la victime, où Vincent vit avec sa mère. Sur place, les officiers de police se mettent en quête d’indices qui permettraient de faire avancer leur investigation. Ils recherchent la lame qui a servi à l’agression. Deux couteaux se trouvent sur un plateau, rangé au-dessus du buffet de la cuisine. Parfaitement nettoyés, aucun ne présente la moindre trace de sang. Le capitaine Girard les prend en photo, dans l’espoir que Vincent reconnaîtra l’un d’entre eux. La mère reste étonnamment calme pendant que les policiers fouillent l’appartement. Elle répond courageusement aux questions qui lui sont posées et conduit les officiers dans la salle de bains pour leur remettre les vêtements ensanglantés du jeune homme. Parmi les choses qui frappent l’attention des enquêteurs, la présence d’un produit de nettoyage jonchant le sol de la chambre de son fils. La mère affirme qu’il ne lui appartient pas. L’agresseur a vraisemblablement utilisé le vaporisateur pour essayer de cacher les traces de sang. Pendant la visite au domicile de la victime, quelqu’un frappe à la porte d’entrée : c’est un copain de Vincent qui vient aux nouvelles. Le capitaine Fatôme coupe court à la discussion : « Vincent n’est pas là. Il va revenir bientôt. » Les deux officiers font ensuite le tour des appartements de l’immeuble pour demander aux voisins s’ils ont entendu ou vu quelque chose. L’essai se révèle infructueux.

 

De retour au commissariat, les deux policiers se partagent les rôles : l’un se rend au chevet de Vincent pour lui soumettre les clichés des couteaux, l’autre s’apprête à entendre le suspect. Interrogé par le capitaine Girard, Didier nie les faits et adopte une ligne de défense périlleuse. Il déclare lors de ses auditions ne pas se souvenir des actes qui lui sont reprochés, à cause de l’alcool. « Je me rappelle pas de ce que j’ai fait. J’ai un trou. J’ai dû traîner en ville dans les cafés, mais je me rappelle même pas des cafés. Je peux pas vous dire, j’étais dans le gaz. » Incapable d’expliquer le geste qu’il semble avoir commis, l’homme raconte qu’il s’entendait bien avec le garçon. Il ajoute que Vincent se promenait souvent avec des couteaux, laissant entendre aux enquêteurs que le jeune homme pourrait être à l’origine de sa propre blessure.

 

De retour de l’hôpital où Vincent a reconnu l’arme avec laquelle il a été touché, le capitaine Fatôme se joint à son collègue pour l’audition du mis en cause. Les deux officiers de police se font plus pressants, élèvent la voix, placent Didier devant ce qui semble désormais une évidence et cherchent à le mettre en difficulté. Mais ils continuent de se heurter à un mur, qui leur répond toujours d’une même phrase : « Je ne sais pas. » C’est alors que le substitut du procureur intervient pour entendre lui-même l’agresseur présumé. Il prolonge la garde à vue de 24 heures. Demain, il se prononcera sur la suite judiciaire de l’affaire.


[1] Les prénoms ont été modifiés.

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